« C’est notre impatience qui gâte tout, presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies ». Cette tirade de Béralde dans le Malade Imaginaire pourrait résumer à merveille les positions du Conseil National de l’Ordre des Médecins et du Haut conseil des professions paramédicales (HCPP) : malgré les problèmes structurels dont souffre notre système de santé, il est urgent de ne rien faire. Leur opposition de principe au projet des infirmières en pratiques avancées (IPA) est la manifestation d’un conservatisme anachronique lié à leur manque de vision du réel bénéfice qu’ils en aurait. Alors que les premières promotions d’IPA « urgences » doivent commencer leur formation à la rentrée 2021, ils s’élèvent pour en fustiger la portée et tenter de couper court à toute tentative de modernisation de notre système.
La polémique lancée par les médecins a pour racine le projet de la DGOS (Direction générale de l’Offre de soins) de former des IPA « d’urgences » travaillant en autonomie, qui viendront se greffer aux autres types d’IPA existants. Le qualificatif « d’uberisation de la santé » a même été avancé par des médecins médiatiques pour tenter de disqualifier définitivement ce projet, l’autonomie opérationnelle de ces professionnels étant la véritable cible de leur courroux.
Les IPA, ces professionnels de santé aux compétences multiples, voulus comme des adjacents aux infirmières et aux médecins, sont attendus par les professionnels de terrain comme des renforts de choix. Ces professionnels de soins, dont le statut a été créé par le plan Ma Santé 2022 (qui poursuivait deux objectifs : améliorer l’accès aux soins et libérer du temps pour les médecins sur certaines pathologies ciblées), représentent une belle évolution du paysage infirmier français. Ouverte aux professionnels justifiant au moins trois années d’exercice, la formation d’IPA a pour but de leur conférer un bagage technique et pratique leur permettant d’aller à la rencontre des patients, d’exercer des actes d’évaluation, de conclusion clinique, d’orientation médicale, de prévention, de dépistage ainsi que des prescriptions d’examens complémentaires.
Envoyés en première ligne, les IPA pourront combler la désertification médicale d’un territoire en allant directement à la rencontre des patients. Affectés aux services d’urgence et au SAMU, ils pourront améliorer la prise en charge des patients. Associés aux médecins, ils libéreront du temps médical précieux, pour leur permettre de se concentrer sur des dossiers plus complexes demandant une expertise pointue.
Les évaluations de l’OCDE sur les dispositifs connexes existant dans d’autres pays (Danemark, Canada, Angleterre, Etats-Unis), font état que le recours aux infirmiers en pratique avancée réduit les temps d’attente des patients, améliore l’accès aux soins et augmente la qualité des soins prodigués. Pourquoi priver notre système de santé de ces bénéfices ?
Responsabiliser le corps infirmier, leur conférer de nouvelles missions et une autonomie plus importante tout en revalorisant leurs compétences sont des conditions essentielles pour recréer des évolutions à ces métiers indispensables, qui ne cessent de voir ses effectifs diminuer. En leur offrant des poursuites de carrière ne nécessitant pas d’abandon du soin, ouvrant des accès à la recherche et à l’enseignement, on leur confère une attractivité nouvelle et de nouvelles perspectives professionnelles.
« La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes » disait Keynes. Force est de constater que le conservatisme de certains les empêche de penser la nouveauté. Cela risque de bloquer l’évolution nécessaire de notre système de santé et d’empêcher l’amélioration des indicateurs qui pénalisent la France dans les classements internationaux.
La défense médiatique des IPA est inversement proportionnelle à leur utilité médicale, étouffée par les anathèmes de médecins ne voulant pas voir émerger des professionnels pouvant les remplacer sur des tâches de première main dans des domaines de compétence circonscrits. Le gouvernement doit faire fi de cette position rétrograde par manque de vision et achever quoi qu’il en coûte la formation des IPA et l’élargissement des activités reconnues en pratique avancée, tout en faisant la promotion des bénéfices inhérents. L’enjeu est de passer d’un partage de tâches où le médecin supervise la réalisation d’actes médicaux, à un transfert de compétences et de responsabilité où les infirmiers opèreront avec une plus grande autonomie. Il en va non seulement de l’avenir de notre système, mais également de notre capacité à dépasser les corporatismes qui le cadenassent et l’empêchent d’innover.